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Jean Giraudoux ou l'exigence de politesse
Intermezzo - Jean Giraudoux
01-05-1999

Jean Giraudoux ou l'exigence de politesse

Au-delà des extrémismes de son époque, l'écrivain-diplomate laisse transparaître dans ses oeuvres son scrupule à définir une voie moyenne, celle de la sagesse, dans les relations humaines.
C'est ce souci que notre mise en scène a essayé de respecter: kiosque du village et tertre symboliques de l'oscillation entre élévation et sol natal, rideaux et projecteurs pour représenter la forêt puis la chambre, essentiellement par jeux de lumières, et miroir dans lequel se regarde le protagoniste pour avoir cette longue conservation avec elle-même.
Trois thèmes principaux nous ont guidés dans notre approche de l'oeuvre: le secret, le terroir et la province et enfin la condition humaine.

"Le Secret"
Importance paradoxale de la notion, si on considère le théâtre de Giraudoux comme celui du beau langage. Mais, le théâtre ne dit pas tout et tous les personnages qui proclament sont légèrement méchants ou ridicules.
Le bavardage est une ornementation un peu facile autour d'une vérité mal connue ou mal cernée. Ainsi, la curiosité des Petites Filles est dénoncé. Les Demoiselles Mangebois sont ridicules et quelques peu caricaturales car elles se plaisent à diffuser des secrets.
Condamnant un rationalisme clair et laique, Giraudoux se moque du personnage de l'inspecteur qui veut prendre de force son secret à une jeune fille.
Or, Isabelle porte ou elle le secret du Spectre: c'est sa volonté d'absolu, son jardin secret. Car, dans leur puissance, la Nuit et l'Obscurité doivent être préservées: l'ordre de la ville recouvre le secret du désordre et d'une certaine injustice. Ainsi, l'éloge de la Nuit et des Etoiles aboutit à la conscience de l'aspect dangereux de trop de clarté. En effet, s'il est périlleux de démasquer un secret, c'est qu'on risque d'aboutir à un vide. Isabelle semble bel et bien en quête de la vérité des morts. Le Spectre s'est laissé prendre. il voit en elle une personne qui cherche une vérité de l'au-delà. Mais il est déçu lorsqu'il constate qu'en fait elle préfère osciller entre deux notions plutôt que de savoir. il ne dira jamais son secret à Isabelle et la laissera balancer entre l'amour d'un homme et l'amour d'une ombre.
Pour Giraudoux, il faut donc des secrets et il ne faut pas escompter percer leur mystère car garder une certaine distance est une politesse envers la création: "Merde pour Freud" avait écrit l'auteur, s'élevant contre une certaine inquisition psychanalytique. Il s'agit d'envelopper l'instinct de mort et c'est le mot "velours" qui réveille Isabelle. On ne doit pas guérir Isabelle, il faut l'envelopper.

"Le Terroir, le sol natal"
"Ce vêtement invisible qui tisse sur un être la façon, de manger, de marcher, de saluer, cet accord divin de saveurs, de couleurs, de parfums obtenus par nos sens d'enfant, c'est là la vraie patrie."
Le sol est d'abord ce qui retient: ce n'est pas le hasard si le contrôleur des poids et mesures fait contrepoids à la volonté d'élévation d'Isabelle. lly aurait une véritable adaptation de l'homme au terroir natal: unanimisme de la nature, notion d'ensemblier, chère àRousseau dont Isabelle possède le portrait.
Mais il faut des lieux riches de passé, humanisé comme les petites villes ou les villages de nos chères provinces (le Limousin). Or, jouer avec le sol, c'est jouer avec le feu: mythe de la Mandragore, des herbes magiques. Car, le terroir est suspect. C'est à la fois la vie et la mort, symbolisée par le meurtre présenté par le contrôleur comme esthétique.
Il y aurait donc une poésie des lieux mais qui doit être contenue, respectée. L'intermède devient alors une opposition entre une certaine médiocrité du terroir avec ses injustices et l'entracte aboutissant à une province juste mais invivable. Lorsque finit Intermezzo, il semble clair que la préférence va à des injustices vivables plutôt qu'à une justice invivable.

"La condition humaine"
La première constatation, c'est son étroitesse fondamentale, conduisant Isabelle à la tentation de l'absolu, bien qu'il soit dangereux. L'essentiel pour l'homme est la limitation dans le temps qu'il faut pourtant accepter: faisant un catalogue des limites de l'homme, le Spectre montre l'aspect exigu de la vie humaine, la condamnation à la vieillesse, donc à la perte: les petites filles et les jeunes filles ne seraient que la représentation momentanée d'un idéal destiné à s'effriter.
Si l'inspecteur accepte totalement cette limitation, Isabelle, dans sa volonté d'échapper à la médiocrité, est tentée par autre chose de plus grand et de plus beau. Son désir est donc de refuser l'éphémère, de montrer la beauté et la cohérence de la Nature et de converser avec le Spectre, comme si elle se regardait dans son miroir, sorte de discussion avec elle-même: elle revendique le droit aux rêves!
Mais, le risque est de sortir des bornes de cette condition humaine et de la défigurer. Entre l'inspecteur et le Spectre, c'est le contrôleur qui lui propose une voie moyenne, faite de politesse envers notre destinée.
"Ne touchez pas aux bornes de la vie humaine!"
Or, cette acceptation sera d'autant plus aisé que l'homme aura mené une vie pleinement réussie. C'est la thèse du bon fonctionnaire qui aura accompli son "métier d'homme" pour reprendre i'expression d'Albert Camus.
"Parce que j'aurais été consciencieux, j'aurai droit à la mort"
En conséquence, le maître-mot paraît la notion d'oscillation entre "Gap et Bressuire", entre deux vérités. Il faut pouvoir ménager des zones d'ombre et ne pas forcément tout éclairer ni tout expliquer.
Attitude de sagesse et de politesse! Une leçon d'humanisme, toujours valable à notre époque, troublée par les mêmes velléités d'extrémismes.

Guy Aucomte



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